Lyon, la capitale du funk : coup d’oeil historique
Publié le.
21/4/2020
Ça y est ! Faute de restaurants, de bars et de musées, le paumé que je suis a trouvé un autre moyen de se perdre dans le tissu culturel lyonnais : YouTube. Après des heures à musarder sur tout type de contenu, mon oeil s’arrête sur une miniature de Porsche 911 pour lire ce magique : « 69 la trik lyon capital du funk ». Ahhh, qu’elles m’avaient manqué celles-là. Sauf que cette fois-ci contrairement aux précédentes, j’ai le temps, j’ai vraaaiment le temps. Donc j’ouvre un nouvel onglet et me penche sur la question. D’où vient cet amour lyonnais pour la musique funk ? Mais surtout, d’où vient cette croyance/mythologie selon laquelle le funk aurait été inventé entre Jean Macé et Garibaldi ?
C’est une question que tout le monde à Lyon se pose ou s’est déjà posé, du gone de souche au passager d’une journée. D’où vient cet élan populaire qui fait de Carmen la référence musicale locale ?
Et si je vous disais que le mouvement en question a eu des échos jusque dans les bureaux de l’Elysée à l’époque ? Allez, j’en dis pas plus, la suite parle d’elle-même.
RAPPEL : CES VIDÉOS YOUTUBE, DE QUOI ON PARLE ?
Tout d’abord, pour ceux qui n’ont pas, dans leur entourage de soirée, ce gars qui vous fixe le sourire figé en bougeant la tête sur des hits de Shalamar, de nombreuses vidéos reprenant des tubes Funk des années 1980 se baladent sur Youtube, un exemple ici. Leur point commun ? Le titre - « 69 la trik », « Lyon capitale du funk » - et une photo de voiture ou des images tirées du film Scarface en miniature. Leur concept ? La majorité des vidéos sont des versions accélérées ou des tracks à la suite qui s’enchaînent. Parfois sont insérés des dialogues de films en VF : C.U.L.T.E.. Le coup de cœur ? Les commentaires chauvins de nos concitadins criant leur amour pour le Rhône. La raison d’une telle passion ? C’est justement ce qu’on essaie de comprendre ici.
D’OU VIENT CETTE CULTURE DU FUNK A LYON ?
Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Il n’y a pas une modification génétique automatique qui s’opère lorsque l’on naît dans un hôpital sur la diagonale Vaise-Grand Trou. Mais en revanche, il y a bien une mode, un héritage. Un héritage qui fait que les Ford Fiesta blanches qui roulent cours Gambetta passent plus de Bobby Thurston que de Soprano. Un héritage qui en dit beaucoup sur la ville de Lyon à la fois en termes de richesse musicale, mais aussi culturelle et sociale. Cet héritage, c’est celui d’une population venue majoritairement de l’Est Algérien (mais aussi du Maroc et de la Tunisie) avec ses instruments, son timbre de voix et son groove. Cet héritage, c’est celui d’une musique et plus largement d’une scène créée en alliant les influences Chaoui et Staïfi aux genres musicaux populaires de l’époque. C’est celui de la construction d’un réel écosystème avec l’éclosion de nombreux labels – L’Etoile Verte, SEDICAV ou Mérabet – qui inondaient Lyon de ses Compact Cassettes. C’est celui des rassemblements musicaux festifs dans les bars et cafés de la Guillotière – Chez Mireille, Le But et Chez Georges –.
Nous pouvons remercier Bongo Joe Records associé aux Lyonnais de Sofa Records d’avoir ressuscité MAGHREB K7 CLUB : Synth Raï, Chaoui & Staifi 1985-1997 un projet regroupant des artistes comme Nordine Staifi qui portait cette musique hybride entre influence maghrébine et disco/funk.
Vous trouverez aussi de nombreuses références dans le projet Maghreb Lyon, disponible intégralement sur le YouTube de Place du Pont Production ici. La plupart de ces artistes chantent la nostalgie, les douleurs de l’exil, l’amour quand d’autres se saisissent des difficultés politiques et sociales auxquelles font face les communautés maghrébines dans les années 1980.
UN MOUVEMENT INFLUENT AUX FORTES REVENDICATIONS
Comme bien souvent dans l’histoire, les combats politiques se nourrissent et nourrissent les dynamiques artistiques. Dès 1978, on trouve des chanteurs qui affirment des messages dans leurs morceaux, à l’instar de Zaidi El Batni, qui chante dans Noudou Ya Radjala (Levez-vous les hommes) :
« 22 années de travail en France, 6 mois de chômage et on me dit retourne dans ton pays. » .
Ces artistes dénoncent notamment les bavures policières, comme le premier titre du projet Maghreb K7 Club en référence à l’affaire Malik Oussekine : Malik ya Malik. C’est ainsi que conjointement, va se former en région Lyonnaise les prémices d’un mouvement national porté par Toumi Djaïdja et SOS Avenir Minguette : La Marche pour l’Égalité et Contre le Racisme. Surnommé par les médias « Marche des Beurs », ce mouvement né à Lyon résonna jusqu’aux portes de l’Élysée avec notamment l’obtention d’une carte de séjour de 10 ans pour les ressortissants de l’immigration maghrébine.
Finalement le funk vient peut-être plus des bancs d’une prison de Géorgie que de ceux de la Place du Pont, c’est triste à dire mais il faut regarder la vérité en face. En revanche, Lyon est bien la capitale d’une musique festive qui a su faire bouger et rayonner une ville, animer ses rues et même influencer des dynamiques politiques à l’échelle nationale. Alors si l’on ne peut se retrouver pour fêter dans des bars et cafés de la rue Sébastien Gryphe en cette période de quarantaine, on peut toujours se laisser aller aux sons qui ont rythmé les quartiers de Lyon fut une époque !
N’hésitez pas à nous dire dans les commentaires vos compilations de funk préférées 😉